Publié le Dimanche 15 septembre 2024 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du Dimanche

C'est la fin

Je sens bien que c’est la fin.

Oui, je sais, je m’étale régulièrement ici sur les sujets du temps qui passe, des désordres de l’âge, de la vieillesse qui guette au coin du chemin… et je me répands souvent en jérémiades et plaintes angoissées face à ma lente agonie, face à l’inéluctable décrépitude qui m’envahit… mais cette fois, je le sens, c’est bel et la bien la fin. Je suis arrivé au bout. Adieu tout le monde.

J’ai pourtant essayé de retarder l’inévitable. D’entretenir ce corps devenu trop lourd, trop grippé, trop perclus d’arthrite, luttant avec force contre l’attirance de la bonne chère et la luxure. Enfin, luttant, luttant… pas avec tant de force que ça, en y réfléchissant bien parce que la bonne chère, et surtout la luxure, c’est quand même vachement chouette. Mais luttant quand même, on va dire pour la forme, hein. D’ailleurs, on pourrait peut disserter longuement sur ma capacité d’ingurgitation d’alcools en tous genres, en toute heure, en tout endroit, capacité que certains qualifient volontiers d’impressionnante, voire d’inhumaine… sans pour autant jamais tomber dans un alcoolisme crasse et maladif. Mais en tout cas, plutôt que de rester à confire, je me suis (presque) toujours astreint à éliminer les excès par des séances de sport régulières. Parce qu’un corps comme le mien, ça s’entretient, pardi !

Sauf que c’est un échec. J’ai raté l’entretien. Ce n’est pas le premier que je rate, notez bien. Mais là, il s’agit de l’entretien de mon corps. Tout lâche. Membre après membre. Organe après organe. Et rien n’y fait. Ni les médicaments, ni les traitements alternatifs, ni les essais cliniques n’ont changé quelque chose. Je suis arrivé au bout, je vous dis. Adieu tout le monde.

J’ai bien vu, depuis le début de l’année, que tout part à vau-l’eau. Le pied. Le dos. Et plus récemment, le genou et le coude. Tout pète, tout rompt, tout cède. J’agonise, je vous dis.

Le pire est arrivé dimanche de la semaine dernière, juste après la publication de mon dernier édito. Un événement… que dis-je, un drame… que dis-je, une catastrophe… une calamité, pire, un cataclysme s’est abattu sur ma pauvre personne

A l’heure de l’apéro, j’ai renversé mon verre de Ricard.

C’était la première fois. Jamais auparavant, dans toute ma misérable (mais exaltante) existence, je n’avais renversé mon verre de Ricard. Première fois. Toutoute première fois, comme disait Jeanne.
Seulement, comme la pucelle qui s’assoit sur un cactus ou le malheureux qui se coince le chibre en remontant sa braguette parce qu’il a oublié de mettre un slip, il est des premières fois dont on se passerait volontiers.
Un verre plein. Répandu sur la table. Un geste malheureux, une trajectoire incontrôlée, une main imprécise et bam. L’accident. Que dis-je, le drame. Que dis-je… le cataclysme.
Je n’ai pas réussi à sauver mon verre de pisse, comme aurait dit Joe Hallenbeck, avant de poser la fatidique question : tête ou bide ?

L’histoire aurait pu, toute aussi dramatique soit-elle, s’arrêter là. Mais vendredi dernier, une amie a renversé ma bière. Pleine, elle aussi. Je parle de la bière. Je n’ai eu aucune réaction alors que le liquide giclait de la bouteille pour se renverser sur la table, par terre et sur ma jambe droite. A peine ai-je reculé la jambe gauche, qui elle pourtant ne risquait rien.
A une époque bénie où mon corps était d’athlète et d’Apollon, j’aurais promptement récupéré la bouteille avant qu’elle ne choit ou, dans le pire des cas, je me serais jeté sous la table, la bouche ouverte, pour en récupérer le nectar.

Mais là, rien. Juste mes yeux pour pleurer. Plus une étincelle de survie. Plus un réflexe salvateur. Rien, vous dis-je. Je le sens, c’est bel et la bien la fin. Je suis arrivé au bout. Adieu tout le monde.

Smiley Bisou. Cœur. Cœur. Aubergine.