Publié le Dimanche 12 janvier 2025 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du Dimanche

Egoïste !

L’épidémie de grippe se répand sur le pays et mon doux foyer n’est pas épargné. Depuis mercredi, ma chère, tendre et aimante épouse est souffrante, abattue par la fièvre, ravagée par les maux de gorge, étranglée par la toux.

Elle est d’un égoïsme révulsant, vous n’imaginez pas.

Déjà, mercredi soir, elle devait venir me chercher à la gare. J’ai dû prendre le bus sous prétexte qu’elle ne se sentait pas très bien. Alors que merde, quand on a 40 de fièvre, on prend un Doliprane et puis c’est bon, quoi.
Depuis, elle déambule en traînant les pieds – et ça m’éneeeeeerve ce bruit – dans la maison, apathique, bougeant sa vieille carcasse percluse de courbatures fiévreuses, d’une pièce à l’autre. Elle refuse strictement de s’enfermer quelque part pour ne pas me contaminer. Sous prétexte que j’ai cuisiné des paupiettes et que les paupiettes, ça ne passe pas sous la porte. Alors que j’aurais très bien pu lui envoyer par la fenêtre du premier étage, hein. Vous le savez, que je suis doué avec un lance-pierres dans les mains.
Et d’ailleurs, je lui ai laissé le choix de sa prison, entre les toilettes du bas, parce qu’elles sont plus grandes et qu’elle peut s’y allonger – enfin, quasiment –, la buanderie parce que si elle lance une machine de linge, ça fait du chauffage et, dans mon incommensurable bonté, la chambre d’amis.

Mais non. Elle hante la maison, s’allongeant sur le canapé de tout son long – et moi je n’ai plus de place, merde alors – ou s’affalant dans le lit pour se reposer.

Et pendant ce temps-là, c’est Bibi qui doit faire la cuisine, la nettoyer, lancer le lave-vaisselle, le lave-linge et j’en passe. Je vous raconte pas la charge mentale. Et inutile de demander de l’aide à ma gamine qui, bizarrement, dès qu’on lui demande un truc, a une évaluation à réviser ou un exposé à faire. Et tout aussi bizarrement, quand on rentre dans sa chambre et qu’on la trouve allongée sur le lit à scruter son téléphone, elle vient « tout juste de faire une pause », à l’instant, et si j’étais rentré trente secondes plus tôt, je l’aurais trouvée en train de travailler. C’est dingue ce super pouvoir que j’ai d’aller la voir systématiquement durant ses pauses.

Enfin bref. Avec tout ça, je n’ai même pas eu le temps de me boire un petit whisky pour fêter la mort de l’autre pâle type, là.

Ce qui a lancé de grands débats avec ma gamine, d’ailleurs, qui se range du côté de ceux qui sont outrés qu’on puisse danser sur une tombe, quelle que soit la personne qu’on enterre. Que ça ne se fait pas. Que c’est amoral. Que c’est stupide.

J’avoue, des fois, mon argumentation laisse à désirer. A la phrase « ça ne se fait pas », j’ai répondu « ben si ». A « c’est amoral », j’ai répondu « p’têt bien ». Et j’ai terminé par « N’est stupide que la stupidité ». Quand vous en êtes à citer Forrest Gump, c’est que niveau raisonnement, vous n’êtes pas dans un grand jour.

Mais c’est comme ça. J’ai pas peur de l’avouer, j’avais quarante ans passés, eh bien, le jour de la mort de Terry Pratchett j’ai pleuré comme un môme. J’ai vraiment pas honte de le dire. Alors que – c’est curieux – mais, le jour de la mort de Le Pen, j’ai repris deux fois des paupiettes.

Allez, Smiley Bisou. Cœur. Cœur. Aubergine.