Publié le Dimanche 8 mai 2016 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du dimanche

Lapin albinos

Je déteste le printemps. Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi ces cons de poètes s’enthousiasment tous pour cette saison. Victor Hugo en vantait les longs jours, la lumière, l’amour et le délire. Les peupliers, au bord des fleuves endormis, se courbent mollement comme de grandes palmes ;  L’oiseau palpite au fond des bois tièdes et calmes ; Il semble que tout rit, et que les arbres verts sont joyeux d’être ensemble et se disent des vers…

Et ils y passent tous ! Théophile Gautier (Premier sourire de printemps), Chateaubriand (Nuit de printemps), Guillaume Appollinaire (Mai), Alfred de Musset (La nuit de Mai), Arthur Rimbaud (Bannières de mai), Gérard de Nerval (Avril), Stéphane Mallarmé (Renouveau) et j’en passe et j’en oublie… Loué soit Charles Baudelaire qui aimait, lui, l'automne !

Et tous les romantiques parler des amours renaissantes en même temps que les bourgeons bourgeonnants, les roses qui éclosent, les lapins qui lapinent, les papillons papillonnants et c’est toute la nature qui s’ébat.

Je t’en foutrais, moi, des renouveaux et autres joli mois de mai. Je t’en foutrais des oiseaux qui palpitent au fond des bois tièdes et calmes, des arbres verts, des bouquets, azurs, carmins, pourpres, safrans, la haie en fleur, le lierre et les chênes mouvants, des parfums que la nature apprête, des prés blanchissants, des lilas flottants, des tiges tremblantes…

Moi depuis cinq jours, avec cette saloperie de printemps, je ressemble à un lapin albinos dépressif. J’ai les yeux complètement rouges, je chiale sans arrêt, le nez qui coule, et mon bureau est un champ de ruines où ne bourgeonnent que les mouchoirs usagés.
J’en suis à ma troisième boîte, auxquelles vous pouvez ajouter deux rouleaux de papier essuie-tout et quatre rouleaux de papier WC. Je me réveille aux aurores avec les yeux collés, le nez bouché et tout le visage qui me démange à m’en arracher la peau comme un pit-bull face à un bébé. Et impossible de me rendormir par la suite, les premiers rayons de soleil sonnant le début d’une symphonie de piafs en rut qui claironnent leur amour sous mes fenêtres.

Ah ça, rien qu’à regarder ma gueule, il est joli, le printemps. Je me bourre de saloperies d’antihistaminiques inefficaces, et même les grandes rasades de whisky, remède miracle et souverain dans la plupart des infections, n’y peuvent rien pour moi. Je me meurs en coulant de partout, je me répands en fluides et en vient finalement à appeler un œdème de mes vœux pour en finir tout à fait avec cette putain d’existence insupportable.

Je déteste le printemps.

Je déteste l’arrivée des beaux jours. Je déteste les hirondelles. Je déteste les bourgeons. Je déteste l’éclosion des fleurs. En ces premiers jours de printemps, je loue un culte immodéré pour le béton et les parkings. Au diable ces saletés d’écolos. Si on me laissait faire, je planterais des tours de verre sur les forêts de boulots et tilleuls. Je te collerais des parpaings sur la tronche des chevaux. Je te ferais des places de stationnement sur ces saloperies de champs en fleurs. Et non, je ne suis pas allergique aux chevaux. C’est juste pour le plaisir, le coup des parpaings.

Mais bref.

Vivement l’été.