Publié le Dimanche 19 août 2018 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du Dimanche

Bisou caillou

La bonne idée de la semaine a été de proposer à ma chère et tendre d’aller passer quelques jours chez sa sœur et son copain. Ils sont sympas, sa sœur et son copain. Entre tendance bio et baba-cool, ce sont des bons vivants adeptes de la nature et du naturel.

Du genre à vous déclamer durant une balade champêtre le nom de tous les arbres alors que, personnellement, moi je ne vois que du bois de chauffage, ou la manière de se servir de toutes les herbes alors que, personnellement, moi je ne vois que des saloperies qui filent des allergies.

« Et si on se faisait une via ferrata ? » nous ont-ils proposé un matin.
Tout de suite, j’ai pensé à une promenade en train, à squatter le wagon bar, pendant qu’on verrait le paysage défiler.
« Non pas du tout, la via ferrata, c’est sympa, tu longes les falaises encordé avec le vide à tes pieds, tu fais de la tyrolienne au-dessus des précipices et tu sautes d’une corniche à l’autre. Parfois, t’as cent mètres de vide, t’as l’impression de voler, on l’a déjà fait, c’est super, est-ce que ça vous tente ? »

Alors certes. J’ai un peu la prestance de Superman et l’intelligence de Batman. Malheureusement, je vole comme une endive et le seul rapport que j’ai avec un mouflon, c’est l’odeur après avoir fait du sport. Bref, gambader dans les rochers à pics, faire de la voltige entre deux falaises, c’est autant mon truc qu’une épilation intégrale à la superglue suivie d’un massage au gros sel.

« Bon ben tant pis, on n’a qu’à aller faire une petite promenade tranquille en canoë ».

Là encore, j’ai la flottabilité du rocher et autant le pied marin qu’un pélican a le pied terrestre. Mais bon. Une petite balade en canoë, pépère, tranquillou bilou, pourquoi pas.

J’aurais dû me méfier quand le mec de la location a insisté pour qu’on prenne tous des casques. Et qu’il a précisé que ce n’est pas grave si on perd une pagaie, que l’important, c’est qu’on rentre tous vivants.

En guise de promenade de santé en famille sur une petite rivière à admirer la beauté des rives, on s’est retrouvé dans des rapides, au milieu des cailloux, avec des tremplins de 20 mètres, avant d’enchaîner sur d’autres rapides plein de cailloux, puis d’autres rapides encore plein de cailloux. C’est fou ce qu’on trouve comme cailloux dans les rivières. Je pensais pas à ce point-là. C’est généralement quand on tombe sur un panneau « Attention, rapides très difficiles » qu’on se demande si y’a pas quelqu’un qui s’est un peu foutu de votre gueule quand il a parlé de « petite promenade en canoë ». Et bien entendu, parce que c’est plus drôle, on a fait ça en famille avec les enfants.

Ah ça, le loueur de canoë, quand il nous a expliqué que coincé contre un rocher, il faut se pencher vers lui et faire ce qu’il appelle un « bisou caillou » pour que l’eau repasse sous l’embarcation et vous libère, et non pas l’inverse sinon le courant vous renverse, je n’ai pas pensé un seul instant que j’allais en embrasser autant, des cailloux.

C’est bien simple sur les 10 km de descente, je pense que je me suis mangé à peu près tous les cailloux de la rivière un par un, à m’éclater dedans et rester accroché en plein milieu des rapides pendant que mon embarcation foutait le camp. L’eau était bonne. Je le sais, j’y ai plongé bien malgré moi plusieurs fois, et je l’ai goutée aussi, bien malgré moi également.
Au final, ma femme m’a engueulé parce que je ne pagayais plus alors que j’étais tombé depuis cinq minutes du canoë, quand on changé de binôme, ma nièce m’indiquait tous les cailloux mais une fois seulement qu’on se les était mangés, je me suis pété une épaule, et mes deux filles n’ont pas arrêté de se foutre de ma gueule. Elles descendaient, elles, la rivière avec mon beau-frère qui s’était bien gardé de nous dire qu’il avait fait du kayak pendant des années,

On a passé une excellente journée, et là, je vous écris l’édito avec un stylo coincé entre les dents pour appuyer sur les touches, vu que je n’ai plus de bras valide.

Je crois que la prochaine fois que je veux proposer à ma femme d’aller chez sa sœur, je me boufferai la langue avant de parler.