Publié le Jeudi 4 juillet 2024 à 12:00:00 par Inès Pouille

 

Whisper: Le Début d'une Belle Amitié - Remastered

La foire au saucisson de cheval

Vous savez, j’ai un problème avec les chevaux.

Ça avait peut-être pu se sentir lors de mon test de Pocket Card Jockey Ride On!, que j’aimais bien les poneys. Vous savez, comme beaucoup de filles de riches, finalement.

Mais ce n’est pas vraiment là où je voulais en venir, car quand je dis que j’ai un problème avec les chevaux, en fait, j’ai plutôt un problème avec l’équitation. Ici n’est pas le lieu pour étaler ma vie, ainsi retenez seulement que j’ai arrêté ce sport de nantis à cause de l’ambiance qui y régnait. Les gens n’avaient que le mot “concours” en tête et s’inquiétaient de leurs “performances” et du “temps perdu” à s’occuper de l’autre individu concerné par l’activité en question.

Non, vraiment, certains centres équestres sont des temples dédiés à l’égoïsme et à l’intolérance, au détriment des chevaux, qui, au mieux, sont traités comme des chiens, au pire, traités comme des voitures, des machines aux commandes de leurs maîtres.

Bref. Le souci c’est que ce monde-là est merveilleux pour chaque petite gamine qui découvre l’équitation. Le cheval ADORE forcément ce qu’il fait, il n’a aucun problèmes avec le fait de se faire tambouriner le bide par des coups de talon, de se faire arracher la bouche par un morceau de métal, et de tourner dans un manège pendant 30 minutes toutes les 2h.


Et beaucoup de jeux de chevaux font leur beurre sur cette fantasy naïve et trompeuse, forcément. Mais quand se présente un jeu comme Whisper : le début d’une belle amitié (remastered), qui affiche sur sa jaquette un soyeux étalon sauvage, libre de tout harnachement, et une gamine avec une plume dans les cheveux, tous deux baignés par une brise de campagne américaine, on se dit qu’on a peut-être affaire à une expérience poétique sur l’importance du respect de l’autre et une pincée d’écologie simpliste mais acceptable.

Oh et bien spoiler alert : PAS DU TOUT.

A peine le jeu lancé, après une intro ridiculeusement floue ne permettant même pas de récapituler comment Mika, notre protagoniste, s’est liée d’amitié avec son cheval Whisper l’étalon sauvage (à part qu’elle a le don légendaire de parler la langue des chevaux), on nous fout direct sur ledit canasson pour un tutoriel de déplacement. A ma grande surprise, le tuto m’indique que le controller du cheval réagit différemment selon la vitesse de celui-ci, permettant des virages plus serrés si l’on va lentement, et plus amples si l’on va vite, sans que cela ne soit perceptible en jeu. A l’exception du pas, toutes les allures se contrôlent pareillement. Le controller en lui-même est fade est pas satisfaisant du tout, avec un manque total de retour et de sensations.

A la manette (Xbox), on fait accélérer le cheval avec le trigger droit, mais on le lance au grand galop (sprint) avec A, allure qui est, d’après le tuto, nécessaire pour franchir des obstacles avec X (oui, le Twister version “doigts sur la manette” devient complexe), pour que je découvre plus tard que ce n’est d’ailleurs pas le cas. Par ailleurs, le tutoriel est tellement cheap que si l’on se foire en bouffant une barrière, le jeu se relance sans indiquer quelle erreur on a commise, pouvant laisser penser à une espèce de crash.

J’aimerais vous dire que le reste sauve la mise, sauf qu’en fait, il n’y a que ce controller, dans le jeu. Le Haras, le QG, ne sont pas explorables et est un menu dans lequel on sélectionne ce qu’on veut faire, dans un choix incroyablement varié de trois actions : partir en balade, s’occuper de Whisper, ou faire la mission suggérée, qui change à chaque fois qu’on la complète. Ne vous attendez pas à de grandes folies, les missions se limitant à des missions de Recherche d’objet, Course chronométrée, Course fantôme (pour battre votre précédent record), Prise de photos, et de Course poursuite.

Aucune histoire ou scénario n’a pointé le bout de son chanfrein en 2h de jeu, et ce constat m'amène à parler de la cible du jeu.

Si je ne suis certainement pas la cible d’un tel jeu, marketé Pegi 3+, alors sans doute s’adresse-t-il à de jeunes joueuses, probablement casual, qui aiment bien les chevaux. Et que veulent les jeunes joueurs ? Un gameplay simple, une simulation assez poussée pour leur donner des étoiles dans les yeux, et pas mal d’histoire, qui les motivent à aller plus loin dans le jeu. Et bien ici, il n’en sera manifestement pas question, encore plus si ces derniers ont encore moins de patience que moi et lâchent le jeu au bout d’une heure (et il a fallu qu'on me menace et m'oblige à le tester plus longtemps). Ah oui, petite boulette supplémentaire, le jeu est incroyablement bavard, et malgré le doublage très réussi des dialogues, je doute qu’un enfant de 3 à 7 ans ait assez de patience pour écouter / lire autant de dialogues.


Les merveilleux graphismes Unreal Engine 5 vantés par la bande-annonce pour justifier le remaster d’un jeu sorti il y a moins de 7 ans sont assez pitoyables, pour ne pas mâcher mes mots. En tant qu’Artiste 3D, je les trouve  honteusement fades, dénués d’intérêt de gameplay, et seulement parsemés de vie par quelques vaches, chevaux, et rares cerfs ou loups. Vraiment pas de quoi justifier l’achat d’un jeu de 2018 à 25 €. On saluera tout de même le lighting et l’ambiance sonore qualitative qui rattrapent un peu l’immersion, dans un monde presque post-apocalyptique dans la mesure où la vie est quasiment absente, il n’y a aucune vie humaine à part nous, et rien d’autre à faire dans le mode libre à part ramasser des collectibles.

Côté personnages, le cheval est joliment modélisé, mais les animations ruinent tout. Elles sont saccadées, elles déforment bizarrement la pauvre bête, elles n’ont aucun feeling (le cheval glisse sur le sol presque), bref, une purge pour un jeu de cheval. Quand est-ce que les éditeurs avides comprendront qu’un jeu de cheval, ça nécessite au moins d'aller en voir des vivants pour bien les modéliser et les animer ?

Naturellement, ce jeu abrite une foire d’incohérences alimentant la dissonance de la fantasy proposée, qui se vantait visuellement de sortir des sentiers battus du simulateur équestre classique. Ici, une gamine de 4 ans vous apprendra à vous, une collégienne liée d’amitié avec un cheval sauvage, comment on brosse un cheval. Votre merveilleux Whisper sauvage est monté sans selle, et en licol, mais est pourtant ferré. S’occuper de votre cheval est complètement facultatif et inséré dans le jeu comme une rare corvée à faire, dans la mesure où vous pouvez enchaîner 3-4 sorties (balade libre, mission en boucle, soit 1h de jeu)  sans avoir à brosser votre cheval ou lui curer les pieds. On vous dira d’ailleurs clairement que le seul inconvénient à ignorer les soins est une perte de “performances” pour Whisper. Oui oui, votre ami pour la vie, votre chouchou de toujours, il ne sera pas assez “performant” pour aller se promener dehors. Sacrée vision du cheval.

Comble du ridicule pour le pauvre cheval autrefois libre et fier, on peut lui faire faire des tours tel un cheval de dressage de haut niveau du Cadre Noir de Saumur sans qu’il ne bronche, et qui contribue à lui faire monter sa jauge de soins au même titre que le brossage. Mettons que vous vouliez passer outre les recommandations du jeu et profiter de votre aspect simulation à fond, la gamine de 4 ans qui vous a présenté le tuto vous criera littéralement de vous casser pour aller dehors si vous vous obstinez à vouloir brosser votre cheval alors qu’il n’en a “pas besoin”, littéralement à grand coup de, je cite :  “Va-t’en, va chercher de nouvelles aventures !”.

En bref, on aurait pu pardonner un gameplay creux si l’intention, vendue comme originale, était bien intégrée par un scénario et une simulation plus développée. Mais ni l’un ni l’autre ne sont présents, et rien ne donne envie de continuer à jouer après les 2 premières heures de jeu aux 4 mêmes quêtes en boucle.