Publié le Jeudi 7 mars 2024 à 12:30:00 par Cedric Gasperini

 

Test The Thaumaturge (PC)

Le Thaumaturge mais le poireau peut attendre...

Varsovie, 1905. Sous domination Russe, la Pologne étouffe. Dans une ambiance cliché où le froid ajoute à la pauvreté et au dénuement de la population, Wiktor Szulski est un homme torturé. C’est un Thaumaturge. Il est capable de sentir les secrets de chacun, percevoir les traces individuelles sur chaque objet et, surtout, communiquer avec les Salutors. Ces créatures qu’ils sont seuls à voir sont nées des peurs et des angoisses des habitants. Mieux encore : les Thaumaturge s’allient avec un Salutor qui va les aider dans leurs quêtes, dans leurs enquêtes mais aussi dans leurs combats. Et Wiktor n’est pas un Thaumaturge comme les autres : il va collectionner les Salutors.

Période de l’Histoire méconnue en occident, le début du siècle en Pologne est marqué par des vagues successives de manifestations, de révoltes qui amenèrent autant de vagues de répression par les troupes du Tsar Nicolas II. Une période propice aux peurs et aux angoisses… et donc aux Salutors…

The Thaumaturge est un RPG en 3D isométrique à l’ambiance sombre et étouffante. Dès l’introduction, notre héros, Wiktor, se retrouve dans un petit village triste et pauvre de Pologne. Il est à la recherche d’un guérisseur mystique. En effet, en voulant chasser un nouveau Salutor, il a rompu le lien avec le sien. Résultat, il dépérit et risque de perdre la raison. Ce guérisseur qu’il va rencontrer et avec lequel il va nouer des liens troubles n’est autre que Raspoutine.

Ecrit d’une main de maître, le scénario va jouer de cette relation, tantôt bénéfique, tantôt franchement malsaine, entre les deux hommes. Entre aide et opposition, chacun luttant pour ses propres intérêts, Wiktor et Raspoutine se livrent une bataille acharnée qui impactera à chacune de vos décisions le récit. Et quand on parle d’impact, sachez qu’il y en a vraiment un. Un choix anodin fait au début du jeu peut entraîner une cascade de catastrophes ou faits marquants et moralement indéfendables plus loin dans l’aventure.


Les développeurs ont soigné l’histoire du jeu et son ambiance narrative. Chaque décision vous appartient et aucunement le jeu ne cherche à vous conseiller ou vous guider. Irez-vous collectionner les Salutors (au nombre de 12) quitte à en perdre votre santé mentale, votre humanité et surtout, condamner les hôtes originels de ces esprits ?
Chaque décision a son importance et les conséquences sont souvent imprévisibles. Il n’y a pas de choix manichéen. Vos actions seront guidées par votre Cœur, votre Fierté, votre Esprit… des caractéristiques qui définiront votre personnalité. Pire encore : certaines réponses, certaines résolutions d’enquêtes, certains résolutions de conflits seront grandement facilités si vous vous laissez aller à emprunter l’une de ces voies. Cela pourra même vous ouvrir de nouveaux chemins pour parvenir à vos fins, découvrir de nouveaux secrets, faire parler plus facilement vos interlocuteurs voire éviter certains conflits… mais à quel prix ? Car une voie qui s’ouvre, ce sont d’autres qui se ferment…

Il n’y a pas qu’une seule façon de jouer à The Thaumaturge. Et la quête de ce personnage torturé qui, au fond, cherche la rédemption d’un père disparu qui l’avait chassé de chez lui il y a une quinzaine d’années vous plonge dans une atmosphère étouffante et pesante, menée avec maestria.

A noter l’excellence du sound design et de la musique, mais aussi la beauté des graphismes qui font revivre une Varsovie telle qu’on l’imagine au début du XXe siècle. C’est très cliché, donc, comme dit dans l’introduction de ce test, mais tellement bien fait qu’on y plonge avec délectation.

Au fil de vos explorations, vous gagnerez des points d’expérience qui vous permettront de dépenser des points en Cœur, Parole, Esprit et Acte. A trop privilégier l’une, vous risquez de vous fermer des portes et vos interlocuteurs auront des réactions différentes.


Les affrontements se font au tour par tour. Aidé par votre Salutor, aide précieuse, vous jouerez à déconcentrer l’adversaire dans l’espoir de lui asséner plus de coups et l’envoyer au tapis plus rapidement. Ces coups pourront être améliorés grâce à l’influence de vos aptitudes en Cœur, Parole, Esprit et Acte. Attention toutefois : vos adversaires, assez basiques au début, deviendront rapidement plus coriaces et pourront eux aussi user des mêmes ruses.

Au final, The Thaumaturge va vous plonger dans les relents putrides d’une humanité en perdition pendant une bonne vingtaine d’heures. Racisme ordinaire, antisémitisme, violences, maladies mentales, suicides… bienvenue dans une histoire à la touffeur palpable.

Tout aussi excellement bien écrit soit-il, The Thaumaturge n’est toutefois pas exempt de défauts. A commencer par des quêtes annexes trop souvent redondantes et inintéressantes. Sans elles, la durée de vie aurait été réduite, certes, mais le jeu en aurait gagné en puissance et en impact. Elles sont nombreuses et trop rarement réussies, malheureusement.
On pestera aussi sur la difficulté du jeu. Certains passages sont bêtement compliqués et nuisent à la fluidité du récit. On se retrouve parfois persuadé d’avoir fait le tour du sujet, mais incapable de conclure une quête ou enquête par la faute d’un point de détail, pas forcément évident, pas forcément important. De quoi donner envie, quelques fois, de lâcher le jeu plusieurs jours avant d’y revenir l’esprit mieux reposé.
Enfin, tout aussi joli soit-il, le jeu souffre de bugs graphiques. Des buts de collisions nombreux, notamment. Mais aussi des barrières invisibles innombrables, pas toujours bien senties, qui nuisent à l’immersion.
Enfin, on pourrait parler du manque de variété des ennemis, du manque d’intérêt, à la longue, dans les combats…

Malgré tous ces défauts, parfois importants, The Thaumaturge reste une aventure saisissante, originale et rare. Une réussite, une vraie. Si le jeu ne marquera peut-être pas l’Histoire du Jeu Vidéo en raison de son thème et de son ambiance assez clivants, il mérite toutefois qu’on s’y intéresse, qu’on s’y attarde et qu’on le range dans le dossier de ses jeux favoris. Si vous n’avez pas peur de vous frotter à des thèmes lourds, vous devriez y trouver pleinement satisfaction.