Publié le Samedi 9 janvier 2016 à 12:00:00 par Paf!
La chronique cinéma de Paf! : Les Huit Salopards de Tarantino
Black vs White in red & yellow
Comme François Truffaut, Martin Scorsese ou Bertrand Tavernier, Quentin Tarantino est un cinéaste cinéphile. Et à l’inverse des deux derniers, cela se ressent dans ses films. Énormément parfois, comme c’est le cas aujourd’hui dans « The hateful eight » qui vient de sortir sur nos écrans sous le titre « Les huit salopards ». Mais est-ce un problème ?Afin de ne pas vous spoiler votre nouveau plaisir tarantinesque, je vais tout vous dire : l’action se passe quelques années après la guerre de sécession ; l’un des anti-héros est noir, l’autre un ancien général sudiste, le troisième un bourreau, la quatrième une meurtrière, le cinquième un chasseur de primes,… Donc en fait, ce ne sont pas 1, 2, 3, 4 ou 8 morts qui nous attendent dans le 8e film de QT, mais bien des dizaines voire des centaines de morts… ou d’autres vivants.Surpris par le blizzard, les quatre passagers d’une diligence se réfugient dans une auberge où quatre hommes séjournent.
Ou les attendent ?
Et ne sont-ils que quatre ?
Après la seconde guerre mondiale et l’esclavage, Quentin s’attaque à la socio-ethnologie américaine et s’en réfère au grand Lincoln, à qui l’on se réfère plusieurs fois avec émotion dans le film (paf ! t’es mort) ou en doutant de son existence (Paf ! Bonjour John Ford et Liberty Valance). Une Amérique multiraciale en paix avec elle-même est-elle possible ou faut-il se résoudre à un éternel duel Obama-Trump (Tim Roth dixit !) dans un pays malade de ses armes à feu depuis sa création ?
Eh ? J’en ai perdu certains? Vous avez une vie intellectuelle et émotionnelle si misérable que vous acceptez par exemple de vous masturber sur la mythologie de star wars mais que vous refusez à Tarantino de vouloir dire certaines choses – même simplistes - dans ses films ? Alors écoutez en Podcast le formidable No Ciné de fans du 21 décembre consacré à l’épisode 7 afin de savoir si « The hateful eight » a une quelconque résonnance avec notre actualité, mais allez le voir !!! Car si vous aimez les film biens léchés et la farce macabre : « Les 8 salopards » est pour vous. C’est drôle, c’est gore, c’est même très gore et très bavard. Un film en blanc & rouge et noir & jaune comme dans le magnifique final de « Kill Bill 1 ».
Oh bien sûr, pour y prendre du plaisir, il faut quand même surmonter deux choses : le dégoût du plagiat et la durée du film.
On jouit et rit beaucoup en effet dans un second temps aux pérégrinations de cette Wild Bunch mais la première partie du film aurait pu être plus courte ou plus animée. Une moitié de 2h47, c’est très long si l’on s’attend comme à l’habitude chez Tarantino à des déferlements de violence à intervalles réguliers. J’ai vu hier des gens quitter la salle pendant le film! Maintenant, vous pouvez toujours entrer en salle après une heure de film mais vous manqueriez l’envie qui vous prend soudain de relire Durango, la jeunesse de Blueberry ou le génial « Les loups du Wyoming » de Greg et d’Hermann, l’une mes BD favorites.
Au moins ceux-là, a priori, sont hors-concours pour les sources de notre plagiaire favori.
Alors de quelle recette s’agit il cette fois-ci : une pincée d’Aldrich et de Peckinpah, deux/trois graines de Ford, Siegel et Eastwood, une louche de John Carpenter et de Sam Raimi et un nouvel hommage à Corbucci , mais au « Grand silence » (1968) cette fois.
Le grand baratineur Samuel Jackson parlant pour le muet Jean-Louis Trintignant.
Un comble pour ce raciste anti-blanc - à qui QT a donné le nom d’un tâcheron hollywoodien du western des années 50, reconverti ensuite dans la TV : Gunsmoke, Rawhide,…
Maintenant, on peut aussi chercher un peu plus loin, ou tout simplement avoir envie de (re)voir certains chefs d’œuvres de Wellman ou d’Altman comme « Track of the cat » (1954) ou « John Mc Cabe » (1971).
Et puis comme d’habitude sans les nommer jamais dans ses interviews, l’intégralité de ses tics géniaux de cinéaste-scénariste empruntés à Martin Scorsese, Akira Kurosawa et Sergio Leone, soit une certaine façon d’installer une scène dans la lenteur, voire le rire, pour la violenter soudain par une extrême brutalité. Que vous détestiez QT pour cette raison ou l’adoriez parce qu’on s’en fout des emprunts si le résultat les transcende, (re)voyez les 40 premières minutes de « Les infiltrés » et « Il était une fois dans l’ouest », les 40 dernières de « Sanjuro ». Une leçon de cinéma pour cet amateur éclairé qu’est le faible cinéaste QT sur la durée.
A ce propos, « Les 8 salopards » est présenté partout par le cinéaste mégalomane comme son 8e film, ce qui veut dire que les deux volumes de « Kill Bill » ne forment qu’un film à ses yeux (ce qui me paraît assez aberrant tant leurs objectifs & contenus sont différents), mais aussi et surtout, qu’il oublie ce faisant l’un de mes Tarantinos préférés : « The man from Hollywood », le sketch qu’il avait réalisé pour le film « Four rooms » (1995) et dans lequel on trouve en 20mn la quintessence de son cinéma (sketch piqué à Hitchcock…).
Pourquoi en effet bouder son plaisir ? Le problème tarantinien est qu’il ne peut s’empêcher d’emprunter ici et là, parfois jusqu’au plagiat, un plan, un décor, une atmosphère, une façon d’installer le suspense, … Et alors ? A mon sens, ce n’est pas un problème parce d’une part, le public est souvent amnésique et/ou ignorant, et d’autre part, parce que le génie de Tarantino réside précisément dans son côté cinéaste DJ : dans la réappropriation d’idées disparates, la coordination de musiques éclectiques, la direction d’acteurs fabuleux sous sa houlette et dans la rédaction de dialogues aussi savoureux que pervers.
Or « Les huit salopards » est vraiment extraordinaire tant du point de vue de l’interprétation que des dialogues. Samuel Jackson et Kurt Russell sont formidables en jeu comme en costumes et moumoutes, Jennifer prend son mal (mâle) en patience avant de samraimiser comme une folle, Bruce Dern nous revient à 80 ans en grande forme dans un western (« Will Penny » avec Charlton Heston, « pendez-les haut et court » avec Clint Eastwood, « La brigade du Diable » avec Kirk Douglas, « Les cow-boys » : le grand bad boy actor’s studio du western des sixties et le seul acteur qui ait tué John Wayne dans un western . Dans le dos bien sûr !),
DE PRÉFÉRENCE, NE LISEZ PAS CES LIGNES AVANT DE VOIR LE FILM : Personnellement, j’aurai bien aimé que QT évite les incongruités visuelles, scénaristiques ou vestimentaires dont il est coutumier et qui nous font sortir du film : un type à pied perdu dans la neige avec une lanterne, l’idée même d’aller aux toilettes dans le blizzard, des gants et vêtements immaculés quand ils devraient être maculés de boue (Samuel Jackson) ou de sang (Tim Roth et Michael Madsen).
Et puis j’aurai adoré que ces deux-là aient plus de lignes de dialogues et de participation à l’action, que Zoë Bell s’en tienne aux cascades une fois pour toutes (elle était déjà énervante dans « Boulevard de la mort », mais là, son énergie et sa jovialité détonne méchamment) et que Channing Tatum ait vu son rôle joué par Bruce Willis ou de Niro par exemple. J’aime bien Tatum dans les rôles où je l’ai vu mais il apparaît ici très très plat, tant à côté des acteurs confirmés et tarantinesques précités qu’à côté des deux ‘petits jeunes’ : un mexicain peu disert mais excellent gros nounours interprété par Demian Bichir et un sudiste/raciste très bavard joué par Walton Goggins. La révélation de ce film très jouissif !
J’étais resté sur ma faim depuis « Jacky Brown » mais en revenant à un ‘petit film’ (2 lieux exigus : diligence et auberge) sans grande question politique (féminisme, Shoah ou esclavagisme), QT revient à son meilleur. Et sincèrement, son côté plagiaire me donne toujours envie de revoir les originaux, alors pourquoi me plaindrais-je de films qui vous poussent à en regarder d’autres ? Ca, c’est du cinéma cinéphile !
Ce qui me fait penser qu’une autre révélation du film, c’est sa musique d’ailleurs, puisque pour une fois chez QT, elle est originale. L’ouverture du film est d’un point de vue cinématographique - images en mouvement et musique mêlées – extraordinaire. Mais j’ai oublié le nom du compositeur. Allez voir « Les 8 salopards », vous ne le regretterez pas, je crois, et comme cela, vous me rappellerez le nom de ce type dans un commentaire.
Commentaires
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Je ne suis pas trop fan de Tarantino, je trouve qu'il est largement surestimé par la profession et surtout le public.
Mais j'ai bien aimé Django, pas a le revoir plusieurs fois. Mais il était plus fluide, et moins verbeux.
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Inscrit le 26/03/2014
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INtéressant et merci pour les anti spoil.
JE suis en attente de voir ce film, je ne sais pas quoi en penser donc je verrai le moment venu.
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Oh bien sûr, pour y prendre du plaisir, il faut quand même surmonter deux choses : le dégoût du plagiat et la durée du film.
Pour le plagiat je dirais dans le cas Tarantino ce sont bien bien plus des hommages qu'il rend au cinéma dont il s'imprègne. Le terme plagiat implique un certain vol d'une oeuvre non revendiqué par le plagieur. Lui il ne s'en cache pas et ce sont plus de clins d'oeil et des hommages donc.
Et au niveau de la durée je fais partie des gens qui pensent qu'un bon film souvent doit poser une histoire, des personnages et que dans la plupart des cas c'est impossible en 1h30 (A part avec Adam Sandler où c'est limite trop long).
Je me rappelle avoir vécu "la guerre des mondes" (celui de Spielberg) comme une longue nage dans un flot de merde alors que les 3h d'inglorious bastards sont passées sans que je m'en rende compte.
En tous cas la chronique est bien écrite, on sent que Paf! maîtrise son sujet.
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