Publié le Jeudi 15 mai 2014 à 12:00:00 par Alexandre Combralier
Il faut sauver le soldat inconnu
On n’apprendra rien à personne en rappelant que cette année marque le centenaire du début de la Première Guerre mondiale. Paradoxalement, tandis que fleurissent les jeux autour du second conflit mondial, les softs se déroulant durant la Grande Guerre sont bien moins légion (étrangère). Et encore moins nombreux sont les jeux français prenant pour cadre la guerre 14-18. D’une pierre deux coups, Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre, la dernière production d’Ubisoft Montpellier, nous emmène justement pour un voyage dans l’enfer de ces quatre années et demie. Un voyage fidèle et prenant au possible. Car la Première Guerre mondiale est loin d’avoir été un simple choix par défaut pour les développeurs. Au contraire, le souci constant de l’immersion et du détail historique a le mérite de renforcer grandement l’intérêt de ce contexte original.
Pourtant Soldats Inconnus attire déjà l’attention plus que de raison au premier coup d’œil. La direction artistique générale témoigne d’une réelle application qui est le fruit du travail de Paul Tumelaire, déjà à l’œuvre sur quelques mondes d’un certain Rayman Legends par exemple. On reconnaît sa patte, ainsi que celle du UbiArt Framework, dont la réputation n’est plus à faire. Oh, bien sûr, avec un maximum de 40 personnes au travail simultanément (le projet en a même compté beaucoup moins à ses débuts), ce ne sera pas la claque graphique du siècle. Mais on repère déjà la… French Touch qui faisait le succès des deux précédents Rayman. Un peu moins durant les quelques passages souterrains que nous avons essayés en une heure et demie de jeu bien sûr, mais beaucoup plus dans les autres environnements extérieurs et intérieurs qui sont une grande réussite.
Concrètement, Soldats Inconnus est un jeu 2D strictement en scrolling horizontal. A l’ancienne donc, mais sans toutes les autres mécaniques old school. Bien au contraire, Soldats Inconnus est un jeu accessible, très simple d’accès, avec peu de boutons nécessaires (déplacement, action 1, action 2 et parfois action 3). Il ne s’agit pas d’un jeu de combat, même s’il y aura de temps à autres des soldats ennemis à assommer. A assommer seulement, car Soldats Inconnus n’est en aucun cas un jeu violent ; la mort n’est pas causée directement par le joueur dans l’immense majorité des cas, pour ne pas s’attirer l’opprobre du PEGI et ainsi potentiellement détourner les jeunes générations d’un titre à la dimension pédagogique évidente (sur laquelle on reviendra).
Reste que cette simplicité a ses travers, et notamment le fait de dévier en simplisme durant les premières séquences. Le jeu consiste donc le plus souvent en des séries d’énigmes : trouver tel ou tel objet et le ramener à la bonne personne, tirer tel ou tel levier pour libérer le chemin, dégager la voie en lançant une grenade sur un amas de rocher… Il fallait par exemple dynamiter un pont en trouvant à quel bon endroit placer la dynamite, ou bien encore, dans une autre énigme, réparer un levier avec un levier de fortune. Un jeu d’enfant, parfois agaçant quand les puzzles sont victimes du syndrome Fedex.
Heureusement la suite se complexifie un peu par la suite, notamment quand un des personnages du jeu peut compter sur l’appui d’un chien. Ce second personnage (le chien peut être commandé à distance) apporte donc un peu plus de profondeur au titre. Mais globalement, Soldats Inconnus ne semble pas nous devoir nous emmener sous les cimes du gameplay. Pour rendre les mécaniques de jeu globalement plus fouillés, il aurait été plus judicieux à nos yeux de systématiser la participation de plusieurs personnages simultanément aux séquences de jeu (le joueur pouvant par exemple switcher entre eux).
Pour varier les plaisirs il devrait tout de même y avoir quelques mini-jeux. Quelques séquences de soins de premier secours font intervenir une séquence Guitar Hero-like, mais trop simplifiée pour être véritablement intéressante. Beaucoup plus réussie en revanche est cette folle conduite dans un des célèbres Taxis de la Marne, sur un fond sonore de pur French cancan, tout en rythme, qui rappelle beaucoup les excellents niveaux musicaux de Rayman Legends (et ce n’est pas très étonnant, puisque c’est le même concepteur).
Mais revenons à présent sur ces différents personnages pour aborder le point incontestablement le plus réussi de Soldats Inconnus : sa narration, son ambiance, sa fidélité. Dans les niveaux auxquels nous avons pu jouer (deux en début de jeu, puis un vers le milieu de la partie), il y avait d’abord Émile, un fermier français. Son gendre, Karl, est allemand ; il doit retourner dans son pays pour faire la guerre du côté boche. La petite famille est séparée, mais ô surprise, se retrouvera lorsqu’Émile (finalement mobilisé dans les rangs français, et fait prisonnier) et Karl vont se retrouver. Tandis que Karl est adepte des explosifs et peut défaire les fils barbelés, Émile, cuistot dans le camp allemand, peut compter sur une louche qui lui sert, entre autres, de pelle, et surtout d’un chien qu’il aura sauvé d’un bombardement britannique (le chien alternera ensuite entre les personnages). Il y a ensuite Freddy, un volontaire américain combattant pour la France, et qui n’en veut qu’à sa némesis, le baron Von Doff. Enfin, le personnage le plus attachant est l’infirmière Anna, indispensable au front après avoir quitté un Paris magnifique dans un taxi marnais, au plus fort de la Bataille de la Marne.
Tous ces personnages ont une histoire originale (qui savait vraiment qu’il y avait eu 128 volontaires américains pour la France, ou le sort des prisonniers de guerre ?), et vivement prenante. La narration se fait par des cut-scenes indubitablement réussies faisant intervenir des lettres des protagonistes ou bien encore la voix inimitable du narrateur, Marc Cassot (doubleur de Paul Newman, ou encore voix d’Albus Dumbledore). Des situations le plus souvent simples, mais aussi touchantes, qui rendent justement raison, sans pathos injustifié, des sentiments des personnages, qu’on peut imaginer représentatifs d’une partie des émotions réelles des vrais acteurs de l’histoire.
On en vient au dernier point, qui m’a personnellement le plus impressionné durant cet aperçu : la fidélité historique du jeu. On ne parle pas que de la retranscription fidèle d’événements qui jusqu’alors n’avaient pas eu tellement leur place dans le jeu vidéo (le sort des prisonniers de guerre, la bataille de la Marne, la bataille d’Ypres, le 22 avril 1915, qui voit la première utilisation des armes chimiques, l’ambiance d’un Paris fin 1914 lorsque les Allemands ne sont plus très loin…). On parle encore de cette multitude de détails qui font de Soldats Inconnus un petit voyage dans le temps : la Marseillaise résonnant parfois en fond dans la caserne, les équipements véritables des soldats (ah, ce pantalon garance…), les drapeaux et autres enseignes militaires, le mobilier et les objets d’époque, les journaux authentiques de 1914…
Déjà calés au départ, les développeurs ont su s’adjoindre les conseils d’Alexandre Lafon, docteur en histoire et spécialiste de la Première Guerre mondiale, ainsi que les soutiens de la Mission Officielle du Centenaire 14-18. Et ça se voit comme ça s’entend. Jusqu’à preuve du contraire, Soldats Inconnus (qui n’est pas sous-titré « Mémoires de la Grande Guerre » pour rien) est donc le jeu le plus proche de la réalité de la Première Guerre mondiale (et cela sans être une tuerie graphique).
La folie qui emporte les hommes (dont beaucoup, par symbole, sont les yeux fermés), les tueries froides et impersonnelles par l’artillerie ou le gaz, les souffrances du quotidien… le jeu a une réelle dimension pédagogique qu’il mène de façon intelligente. Pour prolonger encore l’expérience, un journal très complet est proposé au joueur : il retrace bien sûr les grands événements de la guerre, mais aussi revient sur une multitude de détails (par exemple, saviez-vous qu’avant les masques à gaz produits à la hâte, les soldats devaient revêtir un masque imbibé d’urine ?) qui donnent un cachet authentique au titre.
Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre ne devrait donc pas en priorité valoir le détour par ce qu’il proposera au niveau de son gameplay en puzzles – simples, parfois trop. Mais en plus d’être une réussite esthétique, Soldats Inconnus surprend par sa capacité à être aussi fidèle à la réalité historique, à toucher juste en proposant une narration à l’intelligence remarquable. Il manquait à la Mission du Centenaire un jeu vidéo capable de toucher un large public, jeune enfant comme vieux briscard amateur d’un soft mettant en avant la narration et l’ambiance plus que la profondeur de jeu : un tel jeu sera Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre. Il sortira le 25 juin sur PC, Xbox 360, PS3, Xbox One et PS4, en téléchargement pour 14,99 euros (pour une durée de vie annoncée de 8 heures). Même si c’est au prix de plusieurs séquences d’un intérêt variable niveau gameplay, demeure l’envie pressante de faire son devoir de mémoire.
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