Publié le Dimanche 20 août 2023 à 12:00:00 par Cedric Gasperini
L'Edito du Dimanche
Les pieds de la victoire
Il y a un mois, quasiment jour pour jour, je m’octroyais une semaine de vacances au milieu des huîtres, des crabes, des crevettes et de gens friqués, preuve que j’aime les mollusques et les crustacés. Si vous vous souvenez bien du récit de mes aventures, j’y ai laissé un morceau de doigt, en plus de ma dignité.Cette fois-ci, je me suis échappé deux semaines au milieu des tomates mûres, des melons, des figues et de gens friqués, preuve que j’aime les légumes.
Globalement, ce furent des vacances assez classiques. Enfin, j’entends classiques pour moi. Parce qu’en général, votre classique n’est pas tout à fait mon classique. Classiquement, vous débarquez sur la plage, posez votre serviette, mettez de la crème indice 250, vous avachissez sur le sable quelques minutes avant de décréter que décidément, il fait trop chaud et de piquer une petite tête dans la mer, histoire de répandre votre crème solaire sur la gueule des poissons. Après quoi vous retournez sur votre serviette pour sécher, puis rebelotte niveau crème solaire. Ajoutez un petit jeu de raquettes en bordure de vagues, éventuellement un beignet huilé et caoutchouteux pour le body summer et un dernier bain avant de rentrer.
Mon classique diffère un peu. Oh, très légèrement. Mais quand même.
Classiquement, je débarque sur la plage, je pose ma serviette, je m’affale sur le sable quelques minutes avant de décréter que décidément, les jeunes avec leur musique de merde c’est insupportable, régler le problème avec le sourire ou, à défaut, avec un coup de pelle remplie de sable, revenir sur ma serviette avant de décréter que le mec qui a planté sa clope dans le sable, c’est vraiment dégueulasse, régler le problème avec le sourire ou, à défaut, avec un coup de pelle remplie de sable… mais bon. Tout ça, je vous l’ai déjà raconté.
Ce qui a lancé un grand débat avec ma chère, tendre et aimante épouse sur mon irascibilité et mon intolérance, signe d’une totale capacité de vie en société selon elle. Notez que je proteste énergiquement – mais pas trop en face d’elle – parce que le problème de vie en société, selon moi, il provient de ceux qui ne respectent ni le lieu en le souillant, ni les gens alentours en les saoulant. La différence, c’est que moi, je n’ai pas baissé les bras face à l’incivilité et que j’œuvre pour un monde meilleur. Preuve en est le rictus approbatif des gens alentours, une fois le problème réglé, avec le sourire ou, à défaut, avec un coup de pelle remplie de sable.
Par contre, je ne peux pas tout à fait lui donner tort quand elle souligne à quel point je suis con. Mais du genre très très con. Faut dire, je suis de ceux qui estiment qu’il ne faut jamais rater une occasion de l’être. Et elle le sait très bien.
Tout a commencé avec le casse-couilles de la plage. Mais si. Vous le connaissez. Il y en a toujours un. Le genre de type ultra-bronzé qui vous vante tour à tour sa serviette qui sèche sans se mouiller, son short ultra-seyant en nanoparticules de poils de yack, ses lunettes de soleil à 3000 boules que la marque lui a bien entendu offert pour qu’il les mette en valeur sur son Skyblog et, nouveauté cette année, ses super chaussures profilées dans lesquelles le sable ne rentre pas et qui lui permettent de faire des double-flips sur les rochers sans courir le moindre danger. Le genre de type pas bien méchant, au final, mais qui, au bout de deux semaines, si j’étais réellement si intolérant que ça, aurait eu droit à un sourire. Ou un coup de pelle remplie de sable.
Seulement ma chère, tendre et aimante épouse, ça l’a gonflée cette répétition de vantardises proches de l’onanisme. Sévère. Et elle a commencé à charrier le petit bonhomme et sa nouvelle paire de pompes. Jusqu’à le vexer. Et au final, de lancer un « ben mon mari, même pieds nus, il court plus vite sur les rochers que toi avec ta pauvre paire de sandales hi-tech ». Elle a le sens de la formule, ma chère, tendre et aimante épouse. Et le chic pour me coller en première ligne de ses emmerdes. Résultat, le type l’a pris au mot et une course a été planifiée pour le lendemain.
Alors certes, je lui ai souvent narré mes exploits d’escalades de récifs escarpés à mains nues et pieds nus lors de mes vacances en Bretagne. Mais c’était il y a 40 ans, quoi… et les montagnes que j’ai gravies à l’époque sont, avec des yeux d’adultes, des petits rochers à peine plus haut qu’un parasol.
Je n’ai pas plus été convaincu par son « bah, la course sur les rochers, c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas ». J’aurais mieux fait de fermer ma gueule et mettre l’accent sur mes souvenirs de parfums de glace du port du Pouliguen, tiens. C’est moins flamboyant mais là, au moins, j’avais une chance de briller si on me défiait…
Le lendemain matin, j’ai quand même testé mes capacités à jouer les Usain Bolt des calanques avant l'heure fatidique. Après deux « ouille », trois « putain ça fait mal » et une quinzaine de « aïe sa mère la pute », il s’est avéré que je n’avais progressé que de trois mètres en dix minutes et que la course s’annonçait donc perdue d’avance. Pourtant, étant jeune, je vous assure que je grimpais des récifs escarpés à mains et pieds nus et... euh... bref...
C’est là que ma chère, tendre et aimante épouse a sorti sa carte maîtresse et m’a promis « la totale » si je gagnais la course pour elle. Tout en me doutant que ma vision de « la totale » n’est pas forcément la même que la sienne, j’ai quand même eu l’esprit envahi de moments délicieux que la morale m’impose de ne pas exposer ici.
Et c'est alors que j’ai eu une idée de génie pour passer outre la douleur. Enfin, sur le moment, ça m’a paru une idée de génie. Je me suis assis sur les jambes, en tailleur, de sorte à priver mes jambes de l’afflux sanguin normalement nécessaire. Parce que quand on a des fourmis dans les jambes, on ne sent plus rien ! Malin, hein !
Résultat, j’ai bel et bien gagné la course, haut la main.
Bon, quand j’ai franchi la ligne d’arrivée, des gens ont crié et des enfants se sont mis à hurler ou à vomir en voyant mon état.
Quant à « la totale » promise par ma chère, tendre et aimante épouse, c’était en fait « la totale aux urgences pour te recoudre les pieds et surtout le doigt de ton pied droit qui est à moitié sectionné ». Saloperie de rochers, de moules et d'oursins.
Et si le pied gauche s'en sort avec juste quelques égratignures, le pied droit, lui, est dans un état tel que même un soignant s'est senti mal en le voyant.
Mais je m’en fous, j’ai gagné.
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